ChartreuseEn tant qu’auteur érotique, c’est une question qu’on se pose rarement. La difficulté serait plutôt : comment tout dire (ou presque) sans répéter toujours les mêmes phrases, les mêmes mots.
Et pourtant, il m’arrive parfois de ressentir cette tentation: oublier la longue description évoquant en long, en large et en travers, la géographie de nos corps, et écrire une seule phrase, une phrase qui aurait le pouvoir d’enfiévrer l’imagination du lecteur.
Bien sûr, si je m’aventure trop loin sur la voie de l’érotisme soft, je cours alors le risque de provoquer les remarques de mes éditeurs. Par exemple : « Il faudrait rajouter une ou deux scènes érotiques, là ou là, non ? » ou encore : « Julie, je te rappelle que « Osez 20 histoires » est une collection de cul ».
Et comme ce sont mes éditeurs, comme ils ont choisi mon texte, je m’empare de la fière chandelle que je leur dois, et je la colle entre les cuisses de mon héroïne.

Pour lutter contre cette frustration paradoxale, j’ai décidé de vous citer quelques unes de mes ellipses préférées.

J’aime beaucoup celle de Stendhal, dans La Chartreuse de Parme. Depuis des mois, Fabrice et Clelia s’aiment. Il est en prison, elle est la fille du geôlier. Elle finit par trouver le moyen de s’introduire dans sa cellule. Et après toute cette tension accumulée, le désir éclate en deux phrases :

« Elle était si belle, à demi vêtue et dans cet état d’extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne fut opposée. »

Tout est dit. Fabrice ne résiste pas, Clelia ne résiste pas, le lecteur non plus.

Sous la plume de Maupassant, une autre ellipse, merveilleusement imagée, est en fait le récit d’un viol. Car si la demoiselle finit par consentir, elle commence, elle, par résister. La poésie des mots choisis ferait presque oublier la violence de l’étreinte :

« Alors je poussai doucement le verrou ; et, m’approchant sur la pointe des pieds, je lui dis : « J’ai oublié, mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire. » Elle se débattait, mais j’ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n’en dirais pas le titre. C’était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes. Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré ; et j’en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s’usèrent jusqu’au bout. »

Il s’agit d’un passage de la nouvelle « Ce cochon de Morin », extraite du recueil des Contes de la bécasse. Je ne saurai trop vous conseiller la lecture de ce petit bijou de nouvelle, plein d’humour et de cynisme.

Conclusion : deux phrases peuvent suffire à  évoquer le désir dans toute sa violence.

Malgré tout, je vous rassure : j’aime toujours écrire des scènes de cul.

8 Thoughts on “Comment ne pas dire le cul?

  1. Bonjour Julie
    Pour moi, le maître de l’ellipse c’est Flaubert. Salambô est prêtresse à Carthage et amoureuse du beau Mathô qui dirige les mercenaires en guerre contre la cité punique. Elle porte aux chevilles une chaînette dorée qui « rythme sa démarche »
    Quand elle aperçoit l’objet de ses désirs, une seule phrase « Moloch, tu me brûles ». Quand tout est consommé (consumé ?) , une seule image : la chaînette brisée.
    Autres temps, autres mœurs.

  2. Ingrid on 7 février 2014 at 11:01 said:

    À l’art de l’ellipse peut s’ajouter l’art de la suggestion. Montesquieu manie l’euphémisme avec brio quand il s’agit de décrire l’atmosphère sensuelle du sérail dans les Lettres persanes. Par exemple, l’une des femmes se plaint à Usbek d’avoir perdu son esclave qui « la sert avec tant d’affection, et dont les adroites mains portent partout les ornements et les grâces. »

  3. Pingback: Milo Manara et le vagin perdu | Julie Derussy

  4. Évoquer le désir et décrire le désir, pour moi sont deux choses différentes, non ?

    Les citations ici évoquent mais ne décrivent pas. Comme dit par Hadrien des Ombres : autre temps, autres moeurs. La « scène » de cul, à notre époque, se doit de décrire une concrétisation. L’ellipse ne le peut tout simplement pas.

    Par ailleurs je suis de ceux pour qui le sexe doit évoquer le transgressif. L’asepsie jusque dans le lit, très peu pour moi. Le sexe contemporain doit donc emmener son lot de mots gras (à teneur allégée, au pire, mais quand même). En cela je rejoins Stéphane Rose je crois ?

    • Pour la collection « Osez 20 histoires », oui, il faut donner dans l’explicite. Pour des récits plus longs, j’aime bien varier les plaisirs, ne pas tout dire…

      • Il m’est arrivé d’écrire et de faire dans l’ellipse, à bien y réfléchir. Mais il s’agissait alors de récits plus « romantiques », plus « roses » que « rouges ». J’ai du mal à mettre de l’excitation dans ces textes…

        Les coups et les douleurs… 😉

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