Jeux-de-miroirsLe recueil Jeux de miroirs vient de paraître aux éditions du 38, dans la collection Paulette dirigée par Aline Tosca. J’y ai signé une nouvelle, « Paulina dans le miroir ». Vous pouvez également y retrouver Clarissa Rivière, Ava Castel, Angel Aigu,  Céline Mayeur et Olivia Billington ; il y a aussi deux autres recueils sur ce thème: Fantasmes et miroirs et A travers les miroirs.

Parmi les Jeux de miroirs, j’ai particulièrement apprécié les récits de Clarissa Rivière et Olivier Billington, dont les chutes sont étonnantes. Quant à ma nouvelle, sa publication me tenait à cœur. Je dois avouer quelque chose : mon héroïne m’a tellement séduite que j’ai décidé de raconter la suite de ses aventures. Voici un extrait pour la découvrir…

Paulina se regarde dans le miroir. Elle admire l’effet de la dentelle blanche. Oui, vraiment, il n’y a pas à dire, ça met sa poitrine en valeur, cette lingerie ciselée. Rien à voir avec le triste coton que sa mère lui achète toujours. Cet ensemble, Paulina l’a acheté toute seule. Prétextant une visite chez une amie, elle a enfourché son vélo, pédalé jusqu’à Cordes-sur-Ciel et dépensé ses économies. Inutile de préciser qu’elle ne regrette pas le moins du monde.

Paulina sourit à son reflet, se penche pour faire valoir le relief. De si beaux seins, ce serait dommage de les garder pour soi. Il faut partager, partager. Il a fait trop beau, cet été-là, Paulina s’est ennuyée sous le bleu du ciel. Ou alors, c’est autre chose, un besoin frémissant né de ses entrailles. À force de se rouler dans l’herbe, de plonger dans l’eau claire de la piscine et de laisser le soleil la cuire doucement, il lui est venu des envies… Elle a tutoyé les insectes, mangé des raisins trop verts, dévalé les collines. Maintenant, il lui faut autre chose. Il lui faut le regard d’un homme. Ou, à défaut, un garçon de son âge.

Dix-huit ans. Elle vient de fêter son anniversaire. Elle a hésité un instant avant de souffler les bougies, comme si ça risquait de matérialiser les années. Pour l’occasion, toute la famille avait été invitée, il y avait les grands-parents, la tante Sabine flanquée de son mari et de son bébé, son oncle, et puis Julien, son cousin. C’est à ce moment qu’elle a pris la décision. Dix-huit ans, c’est beaucoup trop vieux pour être vierge, ça devient encombrant, cette virginité. Elle veut savoir, savoir les mains d’un homme sur ses seins, ses seins nus, et lui offrir tout, tout le reste. Parce qu’elle est belle, Paulina, avec ses cheveux noirs et sa peau de miel, et il faut que ça serve à quelque chose. Qu’elle ne reste pas inutile, qu’elle participe à la liesse du monde autrement qu’en enlaçant les troncs d’arbre.

Paulina soupire en songeant au lendemain. Une joie secrète l’étreint, illumine son reflet dans le miroir. Demain, à quinze heures, quinze heures précises, elle ira dans la grange. Elle poussera la porte qui grince un peu, ses yeux s’habitueront doucement à la pénombre, elle montera l’échelle qu’elle a tant de fois empruntée. Et là, dans le foin qu’elle aime tendrement, elle attendra Julien, son cousin. Elle a bien réfléchi, c’est lui qu’il lui faut, avec ses beaux yeux sombres. Elle aurait pu demander à un de ses amis du lycée, il y en a deux ou trois qu’elle a embrassés, mais les baisers ne lui ont pas laissé plus de souvenirs que le vol d’un papillon. Julien, elle le connaît depuis si longtemps, c’est son double et son complice, c’est à lui qu’il faut se donner.

De nouveau, le miroir lui sourit. Paulina est heureuse.

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