Aujourd’hui, je vous donne à lire le récit que j’ai écrit pour le Prix de la Nouvelle Erotique, édition 2016. Le principe du concours est le suivant : il faut écrire de nuit, puisque le sujet est donné à minuit, et la nouvelle doit être rendue au petit matin. Le thème était : « Est épris qui croyait prendre », et il fallait finir la nouvelle par le mot « ricochet ». Je n’ai pas été sélectionnée, mais j’ai trouvé l’expérience intéressante. Trop fatiguée, je dormais à minuit. J’ai donc écrit entre 4 et 7 heures, si bien que mon récit n’est pas long… Quant à la nouvelle du lauréat, vous pouvez la lire ici !

IMG_6708Il hantait la forêt, armé de son arc, s’adonnant à l’éternelle quête de la proie préférée. Il aimait les froissements d’ailes, le jaillissement soudain d’une créature volante, mais n’épargnait pas pour autant les lapins bondissants. Et si, au détour d’un sentier, une fille s’offrait à lui, ma foi, il ne faisait pas la fine gueule : il la prenait.
Car il était si beau, ce jeune homme, qu’elles s’abandonnaient toutes à ses charmes. Elles le guettaient dans la forêt, cherchant à le rencontrer, au détour d’un chemin. Par hasard, oui, tout à fait, par hasard. Je me promenais là, je me suis un peu perdue parmi les ombres des bois. Oh, comme il est grand, cet arc, ce doit être difficile de s’en servir, n’est-ce pas ?
Me montreras-tu ?
Quand il bandait son arc, les muscles de son bras tendu par l’effort, elles sentaient monter le désir de s’agenouiller à ses pieds et de mourir là s’il ne les regardait pas.
La flèche transperçait la proie, le faisan, le lièvre ou la vipère, et la demoiselle s’approchait, cœur palpitant et joues rougissantes.
Quand une fille s’offrait à lui, il procédait toujours de la même façon. Il lui adressait à peine la parole, jetant juste quelques instructions. Tourne-toi, là, contre l’arbre. Si la donzelle n’était pas contente, elle pouvait toujours prendre la tangente. Mais jamais elles ne le fuyaient. Peut-être même chérissaient-elles la rudesse de ses mots.
Elles s’exécutaient.
Les mains pressées sur le tronc rugueux, la joue posée sur l’écorce. Elles enlaçaient l’arbre, fermaient les yeux, cambraient les reins. Sa main, lentement, les parcourait. Elle caressait les cuisses, légèrement calleuse, dessinait les courbes, recherchait les creux. Les sources s’écoulaient, les souffles s’égaraient. Il n’y avait plus de pudeur, plus de retenue, rien que le plaisir de se laisser déposséder.
L’exquise douleur de la pénétration, enfin !
Quand il les prenait, il avait l’impression de baiser la forêt. Il ne les regardait jamais ; il respirait le parfum de la terre, buvait le vert des feuilles, et s’embrasait tout entier. Les doigts crispés sur un cul inconnu, il allait et venait toujours plus fort, jusqu’à jaillir au plus profond.
C’était presque aussi bon que la chasse.
Après, il s’en allait. Rien ne l’ennuyait plus que les prolongations. Archée achevée, il semait les filles dans la forêt. Les bêtes le regardaient disparaître, heureuses de lui avoir échappé, avec peut-être, au fond du cœur, un regret lancinant.
La mort devait être plus douce, quand elle surgissait d’un être si beau.

Ce jour-là, il s’était coupé avec sa flèche. Par mégarde, un geste un peu trop vif en sortant la pointe de la proie. Il contemplait, fasciné, le carmin du sang qui s’écoulait sur son poignet. Sans y penser, il porta la plaie à ses lèvres, but quelques gouttes. Le goût avait quelque chose d’effrayant, pourtant il lui plut, lui donna envie de rire, comme si la folie avait coulé dans ses veines. Secouant la tête, il reprit ses esprits. Qu’avait-il donc, aujourd’hui ?
Le sang coulait toujours. Il se décida à gagner la rivière. La fraîcheur lui ferait du bien. Et puis, il avait besoin de se désaltérer, pour chasser la saveur métallique dont sa bouche était imprégnée.
Une fois au bord de l’eau, il s’agenouilla, baigna sa main blessée. Le courant froid soulagea tout de suite ses doigts brûlants ; il savoura cette sensation. Les arbres se penchaient sur l’onde, l’effleurant de leurs feuilles. Il se pencha à son tour, but quelques gorgées. Puis, détendu, il scruta la rive, cherchant à s’adonner à son jeu préféré. Après avoir longuement hésité, il choisit un galet, s’en empara de la main gauche. Ce serait plus difficile, ainsi. Comme un défi. Il le lança. Trois rebonds. Sans doute pouvait-il faire mieux.
Il n’eut pas plus de chance la deuxième fois, et le troisième galet sombra encore plus vite. Il en ramassait un quatrième, agacé, quand un éclat de rire lui parvint. Qui donc avait osé ? Il ne voyait personne, pourtant. Tout était calme. Sans doute avait-il rêvé.
Serrant le galet entre ses doigts, il se pencha, calcula sa trajectoire, et vit soudain la surface de l’eau se troubler.
Un jeune homme se baignait. Il émergea, rieur. Les gouttes d’eau ruisselaient sur son corps, accrochant la lumière.
– Veux-tu que je te montre ?
Il aurait voulu se justifier, parler de sa main blessée, mais les mots lui manquèrent. Il était si beau. Une émotion inconnue s’emparait de lui, accélérait les battements de son cœur. Le jeune homme, semblant deviner son désir, s’approcha de lui. Un demi sourire dansait sur ses lèvres charnues ; il avait les yeux couleur de ciel.
– Tu…
Les mots moururent, inutile. L’autre l’avait rejoint. Ce fut un baiser éblouissant, un baiser comme une blessure, qui ouvrit en lui le besoin irrépressible de s’offrir.
Leurs corps s’étaient trouvés. Ils s’enlaçaient, s’embrassaient. Ils étaient si beaux, tous les deux, que la forêt tout entière les regardait. Le soleil lui-même s’abîmait dans leur lumière.
Il découvrait avec ivresse la douceur de sa peau, la dureté de ses muscles. Leurs langues s’entrelaçaient, leurs mains s’enhardissaient. Il osa, enfin, descendre le long du sillon de poils, jusqu’à la hampe dressée pour lui. Ce sexe bandé le terrifiait en même temps qu’il le fascinait.
– Prends-moi, s’il te plaît, prends-moi, maintenant !
Était-ce lui qui avait prononcé ces mots, ou un autre qui avait pris la parole, un autre qu’il ne connaissait pas et qui se révélait aujourd’hui ? Il n’en savait rien, il ne voulait pas savoir.
Agenouillé au bord de l’eau, il se laissa transpercer. La douleur, aiguë au début, reflua peu à peu. Des doigts allaient et venaient sur son érection. Il se cambra pour être pénétré plus profondément, et sentit soudain une part inconnue de son être se déchirer, se fendre en deux. Un plaisir fulgurant le déposséda de lui-même. Il laissa échapper un gémissement sourd. L’autre le prit comme un encouragement. Il se déchaîna en lui, le violenta de ses ardeurs. Enfin, leurs deux jouissances jaillirent en même temps, comme un double éclair blanc.
Il s’effondra sur la rive, terrassé. Les larmes coulaient sur ses joues. Rien ne serait plus comme avant. Plus jamais il ne prendrait une fille.
Il n’y a pas de plaisir plus puissant que celui de s’anéantir.
La forêt s’était tue. Les vaguelettes, ultimes vestiges, se dissipaient.
Le jeune homme avait disparu, rayé de la surface de l’eau.
Comme un galet disparaît, après le dernier ricochet.

5 Thoughts on “Le jeune homme et la rivière

  1. Très jolie métaphore, avec une pointe de fantaisie, c’est très agréable à lire, bravo :)

  2. Gérard GILLET on 28 mars 2017 at 2:40 said:

    Chère Julie…
    J’ai lu ta nouvelle avec beaucoup d’intérêt…
    Elle est d’un érotisme discret et il faut aller jusqu’à la fin pour tout …découvrir !
    Bravo !
    J’ai lu aussi celle qui a remporté la palme…
    Ce style est radicalement différent avec les passages de lettres qui s’enchainent… C’est une manière d’écrire très originale.

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