IMG_7588Il m’est venu, l’autre nuit, une idée de récit. C’était un rêve, mais un rêve si précis, si vivant, si scabreux, que je pourrais facilement en tirer une nouvelle érotique. Il me suffirait de suivre les contours de ce rêve, et de m’y perdre pour mieux vous le transcrire.

Mais était-ce vraiment un rêve ? N’était-ce pas plutôt un cauchemar ? En m’éveillant, j’étais en sueur, mais aussi, je le confesse, moite de désir. Et à la honte se mêlait une étrange frayeur.

Il vaudrait mieux que je ne vous raconte pas cette histoire-là. Pourtant, ce serait si facile. Mes doigts courraient sur le clavier, et, d’un coup de baguette magique, le décor vous apparaîtrait.

Ce serait une grande salle, toute de pierre, éclairée seulement de flambeaux. Un décor gothique, théâtral, un donjon de roman noir. L’embarras vous envahirait, au début, parmi la masse des hommes et des femmes présents. Il faut dire que les robes des dames sont si décolletées. Votre regard, sans le vouloir, glisse sur la poitrine de votre voisine. Il vous semble que, d’un instant à l’autre, ses seins vont jaillir de leur carcan de soie. Les hommes, eux, sont vêtus de collants si moulants que leur sexe se dessine à travers la finesse du tissu. Certains, vous le remarquez, affichent une érection marquée.

Et il règne une atmosphère lourde de désirs, désirs qui ne s’expriment, pour l’instant, qu’à travers des regards appuyés et des effleurements légers.

Vous sentez que votre place n’est pas là ; vous reculez dans un coin sombre. Pourtant, vous restez. La fascination vous gagne. D’ailleurs, vous n’avez pas vu de porte, ce n’est pas de votre faute, vous ne pouvez pas partir. Vous espérez que personne ne vous remarquera.

Et puis, vous dressez l’oreille, la curiosité vous étreint, parce qu’une rumeur traverse la salle, elle se répand comme une vague. Vous voyez cet homme chuchoter, cette femme répéter son secret, et enfin, une bouche se penche sur votre nuque, effleure votre oreille, et vous parle à son tour.

Vous savez, à présent. Vous savez que c’est l’heure, l’heure de la cérémonie, l’heure du sacre. Mais quelle cérémonie ? Que va-t-on célébrer dans ce donjon obscur ? Vous frissonnez. Déjà, les hommes et les femmes ont formé un cercle, un large cercle dont vous faites partie sans l’avoir voulu. Au centre du cercle, une table de pierre sombre, comme un autel. Un brasier, jaillissant d’une vasque noire, éclaire de ses reflets rougeâtres la scène à venir.

C’est alors qu’ils arrivent. Un homme vêtu de cuir, très grand. On peut voir ses muscles saillants sous le gilet ouvert ; il tient à la main une cravache. Et une femme, une femme entièrement nue, d’autant plus nue que ses cheveux, d’un roux presque rouge, sont relevés en un chignon serré sur sa nuque. Elle est très belle. Vous ne pouvez vous empêcher de la regarder, de détailler son corps parfait, ses seins qui pointent, son ventre blanc, et la toison cuivrée qui recouvre son sexe.

Vous avez peur pour elle, et pourtant vous ne faites rien. Car, enfin, elle se laisse faire. C’est une victime consentante. Elle vient de s’installer, d’elle-même, contre l’autel. Son corps est ployé ; son visage, ses seins et ses bras sont collés à la pierre froide. Et elle tend ses fesses, son cul superbe et blanc, à son bourreau vêtu de cuir.

Elle est comme une statue vivante. Un bas-relief taillé dans le marbre pour jaillir de la pierre et s’offrir au regard.

Un frémissement parcourt l’assistance, une onde d’excitation, et vous avez honte, parce que, l’espace d’un instant, vous avez espéré prendre la place de cet homme, face à cette croupe qui appelle la cravache. Vous avez imaginé la violence, et vous en avez ressenti du plaisir.

Le premier coup tombe. La belle rousse ne peut réprimer un sursaut, mais elle ne gémit pas, elle se contente de tendre encore davantage ses fesses, qui sont maintenant zébrées de rose. On distingue, entre ses cuisses, la chair de son sexe entrouvert.

La cravache s’abat une deuxième fois, une troisième, et les coups pleuvent sur sa peau, la cinglent. Elle crie sans retenue, à présent. Vous la contemplez. Ses yeux fermés, sa bouche ouverte… Elle est si belle, dans sa souffrance. Si désirable.

Quand le bourreau lâche sa cravache, qu’il ouvre sa braguette, et qu’il sort son érection, énorme, vous n’y pouvez rien, vous l’enviez. Vous rêvez d’elle, de son cul rouge, de son sexe bientôt meurtri.

Il l’embroche d’un seul coup. Elle hurle, elle se cambre, mais elle ne proteste pas, elle reste soudée à la pierre, et elle l’accueille au plus profond d’elle, sous les yeux des convives surexcités qui tremblent de désir. Ils regardent, tous et toutes, tendus comme des arcs. Vous regardez, vous aussi, et vous ne savez plus qui vous êtes, cet homme qui pilonne cette croupe rougie, ou cette femme au sexe dévasté dont les cris résonnent dans le donjon ?

Le supplice dure une éternité ; le plaisir jaillit dans la douleur.

Enfin, dans un grognement, le bourreau s’abandonne, il jouit en elle et reste là, les yeux fermés, en proie à l’extase.

Pendant un instant, il n’y a plus que le silence, l’immobilité totale.

C’est sa main qui bouge, d’abord. Une main blanche, petite, agile. Elle s’arrache à l’autel sombre auquel elle semblait incrustée. Puis elle se glisse dans la chevelure, en retire une longue aiguille d’argent. Les cheveux roux se répandent comme une pluie sur la pierre.

Tout se passe très vite, alors. Elle se redresse, se retourne, et son bras armé traverse l’espace. Le bourreau tombe à genoux, le torse zébré de rouge. Le sang s’égare sur les muscles de son ventre, sur son sexe encore tendu. L’entaille est profonde, peut-être mortelle.

Elle, parfaite, ses cheveux roux coulant sur ses épaules, sur son dos, sur ses fesses écarlates, contemple l’assistance. Une trainée rougeoyante dégouline le long de sa cuisse. Un sourire triomphant éclaire son visage. Il y a, dans ses yeux, une lueur diabolique. Elle sait qu’elle a vaincu.

Et je comprends que c’est elle qu’ils ont sacrée, ce soir. Elle est la reine de cul, l’idole maculée, et elle règne sur ce peuple dépravé, ce peuple inventé dans le tréfonds de mes pensées.

Je me réveille en sueur, draps chamboulés, sexe en émoi. Chaque image est restée imprimée en moi, profondément, comme une zébrure rouge sur mes souvenirs.

Je pourrais raconter tout cela. Je sais pouvoir en exciter plus d’un avec ce récit déplacé, ces images absurdes. Mais il y a, dans cette histoire, comme un parfum de perversité qui me gêne, qui me tourmente. Ce serait accorder trop d’importance à ce rêve, révéler mes fantasmes – âme dénudée, sexe assassiné. Et puis, ça n’a ni queue ni tête, de toute façon.

Non, je n’écrirai pas cette nouvelle-là.

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One Thought on “L’idole maculée

  1. L’ambiance de de cette terrible cérémonie est si bien rendue… récit terrible et intense ! J’aime le retournement de situation …

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