Femme-Neige

illustration de Julie Derussy

Il y a trois gouttes de sang sur la neige.
Je ne peux en détacher mon regard. Appuyé sur ma lance, je les vois, et je vois, en même temps, le visage de mon amie. Le rouge du sang est comme celui de sa bouche, sur la peau pâle de son visage.
La couleur se renouvelle à chaque instant.
Il y a, sur la neige, trois gouttes de sang vermeil.
Je l’ai rencontrée au château, à Beau Repaire. Les tours étaient en ruines, les murs fendus et les serviteurs maigres, mais lorsque la pucelle s’est avancée, je ne voyais plus qu’elle. Elle était belle, comme jamais chevalier ne vit pucelle si belle. Son manteau et son bliaud étaient de pourpre noire étoilée ; ses cheveux, ils étaient d’or pur, son visage, sculpté dans l’ivoire ; les yeux riants, les joues roses, la bouche rouge.
Trois gouttes de sang sur la neige, je vois Blanchefleur.
Elle m’a accueilli, elle m’a donné l’hospitalité. Elle a partagé avec moi son pain, et il n’y en avait pas beaucoup. Je n’ai pas osé lui poser de questions. Le gentilhomme m’avait dit de ne pas poser trop de questions. Il avait dit, rien de plus ennuyeux que les bavards.
Après le repas, nous nous sommes séparés, et je suis allé me coucher. Le lit qu’on m’avait préparé était confortable, la couverture chaude, les draps blancs.
J’ai dormi.
Appuyé sur ma lance, je regarde la neige.
Maman m’avait bien dit de me mettre au service des pucelles et des dames. Elle m’avait dit aussi que, si une pucelle était d’accord, je pouvais la baiser, et le surplus, elle me l’a défendu. Maman, qui s’est pâmée.
Trois gouttes de sang, et la bouche rouge de Blanchefleur, comme rose cueillie dans mon lit.
J’ai dormi dans le nid blond de ses cheveux.
Elle est venue, la nuit, et elle m’a dit, beau doux ami, ne pensez pas que je suis folle, parce que je suis venue à vous, la nuit, presque nue. Elle m’a dit, ami, j’ai du chagrin : le sénéchal, demain, attaquera le château, mais je mourrai avant que d’être à lui.
Mon visage était mouillé de ses larmes.
Je n’ai pas pensé qu’elle était folle, mais je l’ai prise en mes bras, et l’ai consolée.
Je me suis mis à son service. J’ai promis de la protéger. Je ne voulais pas qu’elle se tue.
Trois gouttes de sang sur la neige, j’ai baisé sa bouche, maman m’avait donné la permission, elle a baisé la mienne.
Elle est venue, dans le lit, dans les draps blancs, sous la couverture chaude.
L’or de ses cheveux a coulé sur mon corps.
Je l’ai sentie tout contre moi. Elle était blanche comme neige, et douce sa peau sur la mienne.
Je l’ai serrée bien fort, pour qu’elle ne soit plus triste.
La pucelle ne pleurait plus.
Je n’ai pas posé de questions, quand sa tunique a glissé de ses épaules. Le gentilhomme m’avait dit de ne pas poser trop de questions. Il y a tant de choses que j’ignore. Je ne savais pas que sa poitrine était blanche et rose, et que c’était comme le sang sur la neige.
J’ai posé ma main sur son sein, et la pucelle a soupiré, et elle n’avait pas l’air triste.
Je l’ai enlacée doucement, je l’ai baisée tendrement.
Lys et soie contre moi.
Elle a mêlé ses jambes aux miennes, elle a posé sa main sur moi, et j’ai soupiré, moi aussi, et je ne savais pas pourquoi.
Maman m’avait dit, honore les pucelles et les dames, mais je crois bien que la pucelle, elle aussi, m’a honoré, et c’était doux de la sentir, là, contre moi.
Appuyé sur ma lance, les yeux fixés sur ce rouge, sur la neige, je la revois, sa bouche rouge, sa peau blanche, sur le blanc de nos draps.
Je ne savais pas tout cela.
J’ai vu ses yeux se pâmer dans les miens.
J’ai dormi tout contre elle, sa bouche contre ma bouche.
Je me suis battu pour elle, j’ai vaincu pour elle.
J’ai baisé la pointe rose de ses seins blancs.
Ses mains étaient douces sur moi, et son corps contre moi.
Je n’avais jamais rien senti de si suave.
La pucelle est entrée dans mon âme. Ce qu’elle a fait de moi, je ne sais pas. Ne pas poser de questions. Je suis à son service. Comme maman m’a dit. Maman, qui s’est pâmée.
Je suis parti loin d’elle. Je suis passé par des périls.
Elle était blanche et rose contre moi, et elle soupirait, et elle n’était pas triste.
J’ai dormi tout contre elle.
Elle s’est pâmée.
La demoiselle pleurait, la lance saignait.
J’ai baisé son sein, j’ai tué le chevalier vermeil.
J’ai pris ses armes, sa lance, j’ai baisé ses lèvres rouges.
Pourquoi la lance saignait-elle ?
La neige, le sang, le sang, la neige.
Trois gouttes de neige sur le sang.
Pourquoi la lance pleurait-elle ?
Tout ce sang qui coule.
Toutes ces questions qui me traversent.
Je ne peux jamais les poser.
Quelque chose me manque.
Je sens bien que folie me vient.
Il ne faut pas semer si la terre ne vaut rien.
La neige et le sang se mêlent.
Les couleurs sont nouvelles.
Je ne sais plus où je suis.
Je ne sais pas qui je suis.

3 Thoughts on “Du sang sur la neige

  1. Le Matou libertin on 2 juin 2014 at 7:05 said:

    Magnifique ! J’adore !

  2. emma rodriguez on 26 juillet 2014 at 1:38 said:

    Une très belle histoire d’amour et du sang.

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