Le lieu était enchanteur. Les feuillages se penchaient sur un étang dont le vert profond rappelait les nuances d’une émeraude. Une demoiselle voletait, s’approchant de temps à autre de l’eau, l’effleurant du bout des ailes, laissant derrière elle des ondes circulaires qui s’élargissaient dans les flots.

Elle avait marché un bon moment pour arriver là. Léanore était partie seule, abandonnant ses amis pour l’après-midi. Ils étaient allés visiter un musée ; elle avait envie de rêver, d’écouter les murmurIMG_8415es des arbres, de se prélasser au soleil. Elle s’était promenée longtemps, plus longtemps qu’elle ne l’aurait cru, fascinée par les taches de lumière qui tombaient des frondaisons et le froissement des herbes sous ses pas. Elle s’était perdue, probablement, mais elle ne s’inquiétait pas. Les jours étaient si longs, elle retrouverait bien son chemin avant la nuit. Au pire, elle pouvait toujours appeler ses amis, ils la retrouveraient facilement, ils avaient le sens de l’orientation, eux. Quand ils étaient partis, elle ne leur avait pas dit qu’elle allait se balader. Le savait-elle seulement, alors ? Elle voulait se reposer. Ils s’étaient couchés tard, la veille. Et puis les bois l’avaient appelée, elle était partie, elle avait trouvé ce petit paradis.

Naturellement, elle n’avait pas prévu de maillot de bain. Comment aurait-elle pu savoir ? Elle n’hésita qu’un instant. Le lieu était isolé. Personne ne passerait par là. Léanore défit la bride de ses sandales, caressa l’herbe de ses orteils, fit voler son débardeur dans les airs. Elle ne portait pas de soutien-gorge, ses seins ronds s’épanouirent dans la chaleur de l’air. Et puis ce fut le short, la culotte de coton toute simple — c’étaient les vacances, n’est-ce pas ?

Derrière les feuillages, deux yeux la contemplaient.

Léanore, du bout du pied, goûta l’eau. Celle-ci était très fraîche, un peu trop même, songea-t-elle en s’avançant doucement dans l’étang. Elle prenait garde à ne pas marcher sur un caillou pointu, à ne pas glisser sur le fond vaseux. Qu’elle était jolie ainsi, ses cheveux répandus sur ses épaules, les seins hardiment pointés. Brusquement, elle s’enfonça dans l’eau tout entière et disparut une seconde avant d’émerger, constellée de gouttes, frissonnante et joyeuse. Ce n’était pas très profond, l’eau arrivait à la lisière de son cou. Pour vaincre le froid qui la piquetait de toute part, elle s’agita en tous sens, s’ébattant comme une enfant, riant et soupirant.

Tantôt elle plongeait dans les profondeurs, tantôt elle revenait vers la rive, offrant ses seins et ses épaules aux rayons du soleil, ses longs cheveux flottant derrière elle comme des algues. Elle s’était habituée à la fraîcheur de l’eau, elle n’y songeait plus à présent, elle s’abandonnait au bleu du ciel, au vert de l’eau et aux ailes brillantes des demoiselles.

Et si quelqu’un l’avait surprise, là, nue dans l’étang ? N’était-ce pas le sujet d’un mythe ? Diane, déesse de la chasse, se baignant avec ses nymphes, surprise par un chasseur… Comment l’avait-elle puni, déjà ? Ah, oui, elle l’avait fait dévorer par ses propres chiens… Effroyable. Léanore ne put réprimer un frisson. Si on la voyait, elle n’en ferait pas toute une affaire. Peut-être même que ce serait amusant… Elle s’imagina, nymphe gracieuse s’ébattant dans l’onde. Elle se laissait flotter, offrait ses seins aux rayons du soleil, ses cheveux ondoyant autour d’elle. C’était en se redressant qu’elle l’apercevait soudain : un jeune berger, à moitié dissimulé par les feuillages. Effrayée, elle se reculait, cherchait à se dérober à son regard. Alors, il lui souriait, et elle voyait qu’il était beau, avec ses longues jambes musclées, ses cheveux bouclés et ses yeux couleur de forêt. Il se débarrassait de sa tunique, révélant un corps athlétique et un sexe déjà bandé. Elle n’avait plus peur à présent, elle voulait sentir sa peau contre la sienne. Il lui disait son nom en s’enfonçant dans l’eau et elle le rejoignait, se laissait enlacer, embrasser, pénétrer.

Les yeux clos, les lèvres entrouvertes, Léanore se laissait bercer par les flots. Sa main gauche errait sur son sein ; il lui semblait sentir le sexe allant et venant au fond d’elle. Un craquement de branche lui fit brusquement ouvrir les yeux.

Quelqu’un était là, derrière les buissons, quelqu’un la regardait.

Le rêve se prolongeait, mais ce n’était plus un homme. C’était une jeune fille, jolie, espiègle, délicieuse. Elle s’approcha, un sourire aux lèvres. Le soleil enflammait sa chevelure ; sa robe courte révélait la courbe exquise de ses cuisses. Léanore eut l’impression de l’avoir déjà vue, mais où ?

– Excuse-moi, je ne voulais pas t’effrayer. Elle est bonne ?

– Délicieuse, répondit Léanore, reprenant finalement ses esprits.

– Je te rejoins, alors.

Sans plus de cérémonie, elle ôta sa robe. Elle non plus ne portait pas de soutien-gorge. Léanore ne put s’empêcher de contempler ses petits seins. Elle aurait voulu y mordre comme dans un fruit. La culotte suivit — c’était peut-être un string, Léanore n’avait pu voir — révélant un pubis presque nu, à peine recouvert d’un léger duvet.

– Je m’appelle Lydie, et toi ?

Léanore déclina son identité. Elle sentait les liqueurs de son sexe se mêler à l’eau, il lui semblait que le lait de son corps allait blanchir l’étang tout entier. C’était si troublant, cette rencontre soudaine, comme un fantasme qui aurait pris vie. Que ferait Lydie si elle s’approchait, l’embrassait ? Se laisserait-elle faire ?

– Regarde, une demoiselle ! s’écria celle-ci.

L’insecte volait tout près d’elle, ses ailes scintillant au soleil. Léanore s’approcha pour l’observer à son tour. Elle était si jolie, comme un bijou vivant.

– Tu avais raison, l’eau est parfaite.

La main de Lydie se posa sur son épaule, glissa sur son bras, disparaissant dans l’eau. Incapable de résister plus longtemps, Léanore se pencha vers elle, planta un baiser sur sa joue. Comme dans un rêve, la jeune fille se laissa faire, accepta cette étreinte improvisée, passant son bras trempé autour du cou de Léanore, l’embrassant à son tour. Sa bouche humide erra un instant sur sa joue avant d’effleurer, comme par mégarde, les lèvres qui s’ouvrirent.

Les deux jeunes femmes roulèrent dans l’eau, enlacées, confondues en un baiser. Léanore découvrait le corps d’une autre femme, ses seins ronds écrasés contre les siens. Elle avait l’impression de tomber au fond d’elle-même, de s’abîmer dans un gouffre très doux. Jamais elle n’avait vécu cela avec un garçon. C’était une révélation.

Elles se buvaient, se caressaient en un ballet fluide. Lydie, plus audacieuse, atteignit la première le sexe ouvert de Léanore, y plongea deux doigts, se délecta de son soupir extasié. Léanore, éperdue, se serait noyée si son amante ne l’avait retenue. Tout ce qu’elle savait, tout ce qu’elle avait cru savoir était faux. Elle n’existait plus que pour cette femme qui la révélait à elle-même, elle s’abandonnait, les yeux fermés, à cette main qui la devinait, qui connaissait le point obscur d’où surgissait l’acmé.

La jouissance la transporta loin, très loin.

Elle s’effondra contre Lydie, les jambes tremblantes.

– Depuis le temps que j’ai envie de toi…

Les paupières de Léanore papillonnèrent, elle se redressa, surprise.

– Tu me connais ?

– Bien sûr, tu ne me reconnais pas ? Nous nous sommes croisées si souvent… Et aujourd’hui, je t’ai suivie. Je ne croyais pas que tu allais m’emmener si loin. Tu ne m’en veux pas ?

– Non, murmura Léanore.

Il lui semblait maintenant qu’elle avait eu conscience, obscurément, de cette filature amoureuse, qu’elle avait volontairement mené Lydie jusqu’à ce paradis liquide où elles pourraient s’étreindre enfin.

Elles s’embrassèrent encore. Les mains de Léanore, cette fois, s’égarèrent sous l’eau. Elle voulait la pénétrer à son tour, la faire gémir, la faire jouir. Paupières closes, elle explora ce corps qui évoquait le sien.

Derrière les feuillages, deux yeux la contemplaient. Elle était si jolie, à se caresser ainsi, en parlant toute seule.

2 Thoughts on “Léanore, encore

  1. françois azuelos on 7 mars 2019 at 10:48 said:

    une lecture délicieuse
    bravo

Répondre à françois azuelos Annuler la réponse.

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