En l’honneur de l’invasion des grenouilles, j’ai décidé de vous dévoiler la première scène érotique que j’ai écrite. C’est un extrait d’un récit de fantasy commencé il y a longtemps et que je suis seulement en train d’achever, après une pause de plusieurs années. J’espère le voir un jour publié… En tout cas, une chose est sûre : c’est la littérature de l’imaginaire qui m’a menée à l’érotisme. Une vraie révélation !
L’illustration est de ma petite sœur, Pauline Derussy, et je trouve qu’elle reflète parfaitement mon héroïne.
Quelques mots sur la genèse de ce roman : en 2007, j’ai fait la connaissance des froids hivers du Connecticut. J’étais à New Haven, où, de novembre à février, il a beaucoup neigé. J’ai alors eu l’idée d’inventer un univers différent, un archipel, Rivrene, perpétuellement enneigé. Dans ces îles, une jeune voleuse, sur les ordres de sa Reine, doit retrouver des cristaux aux pouvoirs étranges. Mais en cours de route, elle rencontre un beau jeune homme, et la voilà perdu dans le labyrinthe de ses désirs…

Une petite mise à jour : le roman est à présent publié aux Editions du 38. Vous pouvez le trouver en version numérique, ici sur Amazon ou ici sur Numilog. Bientôt la version papier !

Pauline-Tourelle

illustration de Pauline Derussy

Toujours est-il qu’un jour où il neigeait plus que jamais, j’ai débarqué sur une île comme les autres. Je n’avais pas encore dessaoulé, et c’était la seule chose qui m’empêchait de geler littéralement sur pied. J’ai payé le gardien de l’embarcadère pour qu’il s’occupe de l’esquif, et je suis allée me trouver un bar. Je n’ai pas remarqué d’abord la grande villa devant laquelle je passais. Je marchais vite, en quête des rues tortueuses où j’irais m’encanailler, la tête baissée pour éviter la morsure du vent. Et tout à coup, un mur. Du moins c’est ce que j’ai cru d’abord. En fait de mur, c’était un grand type, le genre massif, tout en muscles, qui me regardait, mi-amusé, mi-prédateur. Je n’ai pas réfléchi – c’était devenu un réflexe – j’ai sorti le couteau, l’air farouche et peut-être un brin ridicule. Sûrement, en tout cas, parce que ce qui a suivi, c’était un grand éclat de rire. Pas vraiment la réaction attendue. Pas du mur, le rire, mais de son compagnon, que je n’avais pas vu non plus, toute à ma gueule de bois. Plutôt grand, mince, roux. Je n’aime pas les roux. Je l’ai regardé une deuxième fois pour être sûre que je n’aimais pas les roux. Il a eu un grand sourire, m’a pris le couteau des mains, et a commencé à parler en m’entraînant dans la villa. Totalement décontenancée, je l’ai laissé faire. Je crois qu’il n’a pas cessé de parler pendant l’heure qui a suivi. Il était aussi bavard qu’Anja, ce qui n’était pas peu dire. Mais le discours n’était pas tout à fait le même.
– Il faut l’excuser, mademoiselle, Stéphane a toujours été très maladroit avec les femmes. Une grande brute comme lui, rien d’étonnant. Notez qu’il sait faire preuve de délicatesse. Je ne prétendrai jamais le contraire. La Comtesse en témoignerait si elle en était là. Elle ne jure que par lui. Non, là où le bât blesse, c’est quand il s’agit d’aborder une inconnue.
Manifestement ce n’était pas son cas. Je venais de le croiser et il me racontait sa vie, ou plutôt celle des autres, comme si on se connaissait depuis toujours. Nous voilà à monter les escaliers, passer le porche, il me tient la porte, très galant, et moi dans cette villa comme si tout cela était parfaitement légitime. Et le pire, c’est que je n’ai même pas envisagé de lui résister. J’ai toujours eu du mal à dire non aux gens beaux. Beaucoup trop sensible à l’esthétique.
Il continuait, imperturbable, m’amenant dans un couloir, dalles de marbres et grandes colonnes.
– Une si charmante jeune femme, vraiment, il faut que je vous présente à tout le monde, ils vont être ravis de vous rencontrer (il ne peut pas me présenter, il ne connaît pas mon nom). Naturellement, vous êtes des nôtres ce soir. Non, ne protestez pas (ça ne me serait pas venu à l’idée, à vrai dire). Il nous manquait justement un hôte. Ma chère, vous êtes un ange tombé du ciel (je ne me voyais pas comme ça). Joseph, préparez donc un bain chez moi (à un domestique, impeccable dans sa livrée blanche). J’espère que vous n’aviez pas d’autre projet pour la soirée ? (Me saouler dans un bouge quelconque.)
Il n’attend pas la réponse, me guide à travers une enfilade de couloirs identiques. J’aurais beau vouloir, je ne pourrais pas retrouver la sortie. De toute façon, il faut se rendre à l’évidence, je ne veux pas.
– Vous avez l’air épuisée, probablement un long voyage (il fait les questions et les réponses. Ça me va très bien.). Mais ne vous en faites pas, nous allons prendre soin de vous (tu vas prendre soin de moi). Si vous voulez bien vous donner la peine (Il m’ouvre la porte à nouveau. C’est fou ce qu’on s’y habitue vite). Mes modestes appartements.
Modeste n’est pas le terme que j’aurais employé. Lumière bleutée des sphères éparpillées partout dans la pièce comme une traînée d’étoiles. Cheminée de marbre où brûle une bonne flambée. Fourrures et coussins. On se croirait dans un harem, ou du moins l’idée que je m’en fais. Un luxe exotique. Il règne une délicieuse tiédeur. Depuis combien de temps avais-je froid ?
– Donnez moi votre manteau, mettez vous à l’aise (il joint le geste à la parole). Tenez, asseyez-vous (je m’assoie sur un pouffe de velours bleu nuit. Il s’agenouille près de moi. J’ai le feu aux joues). Donnez-moi votre pied (je donne). Justement, Rachel me rappelait tout à l’heure qu’il nous fallait quelqu’un. Elle va vous adorer. (Il m’enlève ma botte, la chaussette – pas très reluisante j’en ai peur – et l’étui du couteau. Sans sourciller.) Je suis sûr que vous allez vous entendre à merveille. Vous ne manquerez pas de la reconnaître, une grande brune avec des airs d’oiseau de proie. L’autre pied. (Deuxième botte, deuxième chaussette. Et le cristal dans son étui noir qui va rejoindre les bottes. Je ne dis rien j’ai le souffle coupé. Terriblement chaud.) Vous n’avez pas trop chaud ? (Si, maintenant que tu le dis.) Je vais vous débarrasser.
Pour me débarrasser, il me débarrasse. Le pull, d’abord. «  Levez les bras. » Je m’exécute. Comme une enfant. Il ne ressemble pas à une mère. La logorrhée se poursuit mais je n’écoute plus, à vrai dire je n’entends plus rien. Je le regarde me déshabiller de ses longues mains. Les boutons de ma chemise, un à un. Il a les cheveux d’un roux foncé, la peau très pâle, bien sûr, les yeux noisette. Il est beau. Visage fin, pommettes hautes. Les gestes souples, assurés. La chemise a rejoint le tas de vêtements. Il effleure à peine ma peau, il parle toujours, il pose sur moi un regard intense dans lequel je me noierais volontiers. Ceinture, pantalon, culotte, et ma pudeur, tout a suivi. Ma volonté abolie. Je n’ai toujours pas dit un mot. Il doit me croire muette. Ou stupide. Il m’amène dans la pièce d’à côté. Salle de bain. Je n’avais même pas vu qu’il y avait une autre porte.
– Venez, venez, le bain doit être prêt (je viens, je viens). Attendez, je vérifie la température, je ne veux pas que vous vous brûliez (trop tard je brûle). Parfait. Je vais m’occupez de vous, vous voulez bien ? (Oui.) Ça ne vous dérange pas ? (Non.)
A ma grande honte, l’eau du bain se colore immédiatement d’une teinte grise révélatrice de la crasse qui me recouvre. Tant pis pour la honte, elle peut rejoindre la pudeur. Je voudrais qu’il s’occupe de moi jusqu’à la fin des temps. Le paradis doit ressembler à ça.
Il me savonne, il continue à parler, il me raconte les autres occupants de la villa, toute une galerie de portraits, et je sens bien qu’il est spirituel, qu’il est drôle, un peu cynique, je sens bien sûr, parce que je n’écoute pas. Je n’écoute pas je le regarde. Il me lave les cheveux, il me lave tout entière, sans pudeur, sans insistance non plus. J’ai envie de pleurer, mais je ne pleure pas, je me laisse aller à l’oubli de ses mains douces. Il me fait lever pour me rincer, il fait couler l’eau à l’aide d’une aiguière, de l’eau claire et chaude qui glisse sur moi en même temps que le débit continu de sa voix, et qui me lave le corps et l’âme. Et puis il me sort du bain, il m’enveloppe dans une grande serviette douce, il m’enveloppe de sa présence, il ne s’arrête jamais de parler.
Alors tout à coup j’ai peur, peur qu’il me rhabille maintenant qu’il m’a lavée, alors je me retourne contre lui, et j’embrasse sa bouche, j’interromps le flot continu de ses paroles, je veux juste que tu m’enlaces maintenant. Et j’ai peur qu’il me rejette, qu’il ne veuille pas, parce que je sens bien que je ne pourrais pas le supporter, mais il m’étreint à son tour, il me caresse, le silence maintenant, et je le déshabille, sans quitter sa bouche, toujours, pas facile, maladroite, mais finalement nous sommes tous les deux sur le lit, mes bras autour de lui, mes jambes autour de lui, et lui en moi.

Invasion-grenouilles

3 Thoughts on “Ma première scène érotique

  1. aux âmes bien nées, la valeur, etc etc

  2. Corneille ! Vous me prenez par les sentiments !

  3. disons que c’est mon péché mignon

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